Le procès du BUB contre la VRT et la RTBf

Le 20 février 2006, l’affaire que le B.U.B. avait intentée contre les médias publics a été plaidée devant le tribunal de première instance de Bruxelles.
Un jugement est attendu sous peu.
Vous trouvez ici déjà le contenu du plaidoyer du B.U.B. (note d’audience et schéma).
La langue du procès était le français parce que l’avocate du B.U.B. était francophone.

[schéma]

REFUTATION DES DERNIERES CONCLUSIONS ADVERSES

1) RECEVABILITE
RTBF

1. RTBF reproche au B.U.B. de formuler une demande dans le sens d’un avis, une consultation. Il est vrai qu’une seule phrase dans le dispositif du B.U.B. pourrait se prêter à une telle interprétation, de sorte que le reste du dispositif reste donc bel et bien recevable. Néanmoins, cette interprétation est erronée car cette phrase ne peut être séparée du reste du dispositif qui a pour but de faire condamner les défenderesses à donner un temps d’antenne au B.U.B.. La quantité de ce temps d’antenne devra être déterminée par le Tribunal et le B.U.B. a fait une proposition, somme toute raisonnable. Quoi qu’il en soit, une condamnation, quelle qu’elle soit, devra logiquement être prononcée. Voilà pourquoi la phrase a été ajoutée.

2. Comme il a déjà été clairement souligné en conclusions, les membres du B.U.B. peuvent représenter le parti s’il sont tous présents, ce qui est le cas, et de plus, ils représentent eux-mêmes en tant que hommes et femmes politiques. Toute la jurisprudence citée admet la recevabilité de demandes formulées par des candidats politiques (juge des référé de Liège et Verviers, Conseil d’Etat).

3. Il faut souligner que le B.U.B. et les membres introduisent l’action à double titre : en tant que respectivement parti politique et politiciens, mais aussi en tant que représentants potentiels d’une grande minorité nationale. Cette dernière motivation constitue une circonstance exceptionnelle au sens de la décision de la Commission européenne et donne droit à un temps d’antenne supplémentaire. On ne voit d’ailleurs pas pourquoi le B.U.B. ne peut pas faire référence à cette grande minorité nationale. Elle existe et on ne voit pas pourquoi les requérants ne peuvent pas mettre l’accent sur le fait que leur opinion (celle des requérants et de cette minorité nationale) est discriminée. L’éminent auteur MARTENS estime d’ailleurs que les actions d’un demandeur idéologique sont recevables ! (P. MARTENS, Théorie du droit et pensée juridique contemporaine, Larcier, Bruxelles, 2003, p. 126). Si les requérants ne peuvent demander réparation pour une violation des statuts des chaînes publiques, on peut se demander qui pourrait bien le faire. Selon la Cour de Cassation, chaque violation d’un décret commise par une autorité publique qui crée un dommage doit être réparée. Le dommage se retrouve dans le chef des requérants dont l’idéologie est injustement discriminée. Il peut être terminé en imposant aux défenderesses le respect des règles violées. Les requérants demandent donc le respect de leur idéologie, non de celle de cette minorité nationale (mais cela aboutira au même résultat).

VRT

1. Le cadre décretal des deux chaînes publiques et notamment l’article 3 des statuts de la RTBF et l’article 23 des statuts de la VRT est quasiment le même car il découle d’obligations nationales et internationales. Il y a donc certes un intérêt à juger les causes ensemble. On ne voit pas ce qu’une scission des affaires pourrait apporter de positif à la résolution du problème.

2. Les requérants n’ont pas fait de lien entre l’absence de demande de changement de langue et la connexité. Ils ont tout simplement dit que la Cour de cassation estime qu’il faut scinder les actions s’il n’y pas de connexité, quod non en l’espèce (et non déclarer l’une des deux irrecevables). On ne peut d’ailleurs reprocher aux requérants d’avoir choisi un tribunal incompétent car le tribunal de première instance de Bruxelles est de toute façon compétent à l’égard des défenderesses.

3. Contrairement à ce que prétend la VRT, les requérants ont apporté les signatures de tous les membres du parti (pièce 8). Ils ont tous donné un mandat pour introduire la présente procédure. Il est évident que le B.U.B. choisit ses propres membres et ses propres statuts et que les défenderesses ne peuvent s’y immiscer. D’autre part, il est vrai que trois requérants ont quitté le conseil d’administration en octobre 2005. Il s’agit de Kim ROOVERS, Charles GRAULICH et Jean-Philippe SCHKLAR. Ils ont été respectivement remplacés dans leurs fonctions par Cedric VLOEMANS, Michael MISSAIRE et Nicolas VAN AKEN. La première personne reprend l’instance en sa nouvelle qualité de président de la province d’Anvers pour le B.U.B. et les deux autres interviennent volontairement dans la procédure en tant que président de Liège pour le premier et président du Luxembourg pour le deuxième. Pour être complet, il faut y ajouter que Cedric VLOEMANS, comme il est devenu président de la province d’Anvers pour le B.U.B., a dû abandonner sa fonction de vice-président d’Anvers. Il n’a pas été remplacé dans cette fonction.

4. Le conseil d’Etat dans son arrêt du 1er avril 2003 en cause Monsieur VAN DE CAUTER c. RTBF a d’ailleurs déclaré que l’action du requérant en tant que candidat potentiel était recevable bien qu’il n’eût encore jamais participé à une élection et malgré le fait que sa candidature ne fût pas encore formalisée. Les ordonnances des juges de référé citées en conclusions confirment d’ailleurs la recevabilité de telles actions politiques.

5. Le B.U.B. peut-il représenter les 25 à 40% d’unitaristes et de fédéralistes d’union ? Oui et non. Lorsqu’on l’on retient le terme « représenter » dans son acception parlementaire, le B.U.B. ne peut les représenter car il n’a pas été élu par eux. Mais lorsque l’on adopte une signification plus large et finalement plus moderne (P. MARTENS, Théorie du droit et pensée juridique contemporaine, Larcier, Bruxelles, 2003, p. 125 : crise de la représentation), le B.U.B. peut bien les représenter car il évoque en gros leurs idées au niveau institutionnel. Observons que l’on s’accorde pour dire qu’une organisation comme Test-Achats représente les consommateurs bien qu’elle n’ait jamais été élue par ces derniers. Tout dépend donc de que l’on entend par « représenter ». Dans le même ordre d’idées, l’on peut se demander si par exemple le MR ou le VLD représentent bien « les libéraux » car à chaque élection, l’on constate une perte ou un gain d’électorat pour ces partis. Néanmoins, et au-delà des partis, personne ne conteste que l’opinion libérale mérite une place importante dans le débat politique…

Quoiqu’il en soit, la question de savoir si le B.U.B. représente 25 à 40 % de Belges est en soi assez impertinente car ce qui compte, c’est surtout leur idéologie, qui, elle, – et ce n’est point contesté – est importante en termes politiques et sociologiques et est totalement discriminée par les défenderesses. Le thème unitariste et fédéraliste d’union est en soi suffisamment important pour susciter un intérêt journalistique et pour former l’opinion publique en vue des échéances électorales futures. Et c’est finalement lors de ces élections libres et démocratiques que les citoyens, cette fois-ci pleinement informés des options de vote, pourront décider si oui on non le B.U.B. peut les représenter dans les assemblées législatives. Ou comme l’éminent philosophe allemand Jürgen HABERMAS le précise (Droit et démocratie, Francfort-sur-le-Main, 1992, p. 389) :

« Ce qui fait des opinions ainsi concentrées une opinion publique, c’est à la fois la manière dont elles se constituent et le large assentiment qui les « soutiennent ». Une opinion publique n’est nullement représentative au sens statistique. Elle n’est pas un ensemble d’opinions individuelles, relevées isolément et formulées dans un contexte privé ; en ce sens, il ne faut pas la confondre avec les résultats d’une enquête d’opinion. Le sondage politique ne présente un certain reflet de l’ « opinion publique » qu’à la condition que, réalisé dans un espace public mobilisé, il ait déjà été précédé par une formation de l’opinion relative au thème abordé. »

6. Le B.U.B. n’est en effet pas traité différemment que d’autres partis politiques sans représentation parlementaire. Ce n’est pas difficile à observer car aucun de ces partis ne reçoit un temps d’antenne sur les ondes de la VRT. De 2002 à 2005, le B.U.B. a reçu 0 minutes de temps d’antenne, bien qu’il ait participé à deux reprises aux élections dans toutes les circonscriptions néerlandophones en 2004 et en presque autant de circonscriptions (moins 2) en 2003.

2) MESURES PROVISOIRES

La RTBF essaye de nier la pression institutionnelle qui pèse sur la Belgique. Cette assertion gratuite est en flagrante contradiction avec la réalité quotidienne. Disons même que la pression n’a jamais été si forte. Le manifeste économique du groupe du Warande de novembre 2005 l’a encore clairement démontré. Ce ne sont aucunement des spéculations politiques (concl. add. RTBF, p. 9), mais bien des vérités quotidiennes.

Cette urgence ne sert cependant plus à obtenir des mesures provisoires comme toute l’affaire sera finalement plaidée au fond en une fois. Elle est pourtant encore très utile à motiver la demande d’exécution provisoire formulée par les requérants.

3) LE FOND
RTBF

1. La RTBF n’a aucunement signalé l’existence du B.U.B. ou donné la parole à celui-ci pendant la campagne pour les élections régionales de 2004. Aussi en 2005, la RTBF n’a-t-elle jamais fait état du B.U.B….

Une question intéressante est de savoir ce qui se passerait si le B.U.B. obtenait un ou plusieurs représentants à la Chambre des Représentants car la RTBF donne l’impression dans ses conclusions qu’à ce moment-là tous les problèmes d’accès aux médias publics seront résolus. Pourtant, rien n’est moins vrai. En effet, l’une des conditions énumérées dans le dispositif électoral de la RTBF pour avoir accès à la télévision et pour avoir un accès substantiel à la radio en période électorale est d’avoir une représentation à la Chambre ét au Sénat (p. 3 C). Or, il est beaucoup plus difficile d’obtenir un siège au Sénat qu’à la Chambre, car les élections directes du Sénat sont réservées aux grandes figures politiques. 10.000 voix par sénateur est un minimum ce qui est énorme pour une personne peu connue. Donc, si le B.U.B. obtient un parlementaire ou voir plus moyennant d’énormes efforts financiers et humains, il devra toujours se contenter de deux ou de trois minutes de radio après le journal parlé de 19 heures… Il est dès lors clair que la RTBF, dirigée par les partis au pouvoir, fait tout pour fermer la porte aux nouveaux partis politiques…

La situation à la VRT est moins claire, mais cela ne veut pas dire qu’elle est meilleure. La VRT n’a pas de dispositif électoral et elle déclare en conclusions faire ce qui lui plaît… On connaît d’ailleurs le résultat : les nouveaux partis politiques sont totalement écartés de ses antennes…

2. Un objectif légitime majeur en politique est l’amélioration de la démocratie et le respect du pluralisme de la société (B. FRYDMAN, G. HAARSCHER, Philosophie du droit, 2ème édition, Dalloz, Paris, 2002, 62). Les défenderesses y jouent un rôle important car elles font usage de l’argent du contribuable. Cet objectif légitime est d’une valeur supérieure à celui de la « clarification des débats » et est d’ailleurs consacré par toute la réglementation citée. Un contrôle marginal par le juge est toujours possible. L’exclusion ou la quasi-exclusion des partis sans représentation parlementaire ainsi que d’une minorité nationale importante est donc inadmissible.

3. Dans sa thèse de doctorat, Madame Peggy VALCKE (Digitale diversiteit, convergentie van media-, telecommunicatie- en mededingingsrecht, Larcier, Gand, 2004, p. 115 et s.) définit le pluralisme comme une conception politique, religieuse, philosophique,… qui préconise la co-existence et l’interaction des différents principes et convictions directeurs et qui tient en équilibre les différentes opinions sans que l’une soit en mesure de dominer ou d’opprimer l’autre. Le pluralisme des médias constitue une application de cette description générale. Cela implique concrètement que les différentes tendances sociétaires aient voix au chapitre dans les médias et qu’elles aient donc accès aux moyens de diffusion. Cette obligation est cruciale dans une démocratie, considère-t-elle, car ce n’est qu’en établissant un marché libre des idées où la prise de conscience individuelle et publique peut se dérouler librement grâce à la confrontation d’idées opposées, que la démocratie peut fonctionner et que l’individu est en mesure de s’épanouir. L’auteur P. MARTENS partage ce point de vue (op. cit., p. 126). Les idées ne peuvent recevoir une protection moindre que les marchandises ou les services car les idées, elles, sont gratuites et nécessaires à la démocratie. Les médias publics jouent un rôle primordial à ce sujet car ils font partie du pouvoir exécutif. Vu que les médias publics se trouvent ainsi dans une situation de juge et partie, ils doivent faire l’objet d’un contrôle renforcé du pouvoir judiciaire.

Le philosophe allemand Jürgen HABERMAS l’a aussi souligné (Droit et démocratie, Francfort-sur-le-Main, 1992, p. 390) :

« Les structures d’un espace public inféodé au pouvoir excluent toute discussion féconde et éclairante. »

Les éminents auteurs A. STROWEL et F. TULKENS (Prévention et réparation des préjudices causés par les médias, Larcier, 1998, 69 et s.) approuvent d’ailleurs cette thèse en déclarant que (p. 78) :

« Certes, le seul fait de l’intervention du juge peut être considéré comme une restriction potentielle à la liberté d’expression, mais il n’apparaît pas que ce fait ne soit pas, parfois, en soi nécessaire dans une société démocratique ».

Ou encore (p. 87) :

« Ne doit-on pas à cet égard admettre, avec B. LIBOIS, que la liberté de la presse ne peut plus être comprise uniquement comme la « continuation d’un droit individuel ». Dans la mesure où les médias façonnent un nouvel espace public, leur responsabilité est sociétale, ce qui justifie d’en renforcer les contre-pouvoirs. »

4. Madame Peggy VALCKE souligne également (op. cit., p. 157) que la Cour européenne des droits de l’Homme a confirmé que l’article 10 CEDH ne concerne pas seulement le contenu de l’information, mais aussi les moyens pour diffuser et recevoir ces informations. La commission et le Conseil de l’Union européenne considèrent aussi le secteur audio-visuel comme « un instrument essentiel pour la promotion de la démocratie. » (Comm. Comm. U.E., P.C., 19 janvier 2001, éd. 17, 4 et Résol. Conseil U.E., 21 janvier 2002, concernant le développement du secteur audio-visuel, P.C., 5 février 2002, éd. 32, 4). L’auteur ajoute (p. 183) que le pluralisme, bien qu’il s’agisse d’un principe essentiel, ne crée probablement pas (il y a un doute) de droits subjectifs dans le chef des citoyens, mais n’exclut nullement un contrôle marginal du juge pour sanctionner des discriminations manifestes (note 320). On peut critiquer cette thèse en disant que si l’on admet que le pluralisme constitue un principe essentiel de la démocratie – ce qui n’est pas contesté en soi -, il faut qu’un juge puisse le faire respecter par des médias qui fonctionnent avec l’argent du contribuable, d’autant plus que l’on ne voit pas comment l’on pourrait faire respecter ce principe si les citoyens ne peuvent pas l’invoquer.

L’on peut citer de nouveau HABERMAS (op. cit., p. 471) :

« […] la préservation d’espaces publics autonomes, l’extension de la participation des citoyens, la domestication du pouvoir des média et la fonction médiatrice des partis politiques non étatisés ont une importance capitale. »

A. STROWEL et F. TULKENS partagent cette opinion en citant H . PIGEAT (p. 89) :

« … il est indispensable de mettre frein à un journalisme mercenaire… »

« S’il est effectivement important de rappeler que la liberté de presse est un instrument irremplaçable pour assurer une discussion démocratique et pluraliste des questions d’intérêt général, elle peut aussi être le moyen totalitaire de broyer l’individu isolé. »

5. L’accès radio-télévisé donné par la RTBF au B.U.B. a été totalement dérisoire et largement insuffisant. Le critère retenu ne peut d’ailleurs être le résultat électoral car celui-ci est justement largement influencé par l’accès aux médias. C’est comme si on répartissait le temps de publicité des entreprises sur base du chiffre d’affaires de celles-ci. Une telle mesure serait évidemment contraire au principe de la libre concurrence et serait totalement disproportionnée à un objectif quelconque, fût-il légitime. Il en va de même en l’espèce. Le critère objectif à retenir est « la permanence des partis » comme le B.U.B. le propose (présence dans au moins 3 circonscriptions électorales belges lors des deux derniers scrutins nationaux ou régionaux). Même dans le cas où le Tribunal estimerait qu’il ne peut adopter un nouveau critère, toute discrimination flagrante doit de toute façon être sanctionnée.

La RTBF confond volontairement ou involontairement les sondages qui portent uniquement sur le maintien de la Belgique ou non (85% des Belges qui sont contre le séparatisme) avec ceux qui ont un objectif plus large et qui visent à déterminer quel genre de structure étatique les Belges désirent (25 à 40 % d’unitaristes et de fédéralistes d’union). Le résultat des urnes ne donne aucune explication à cet égard car la question n’est même pas posée ouvertement aux électeurs. De plus, ceux-ci ne peuvent quasiment pas voter pour des partis unitaristes ou fédéralistes d’union, faute d’alternative connue. On ne comprend d’ailleurs pas pourquoi la RTBF entend rejeter les sondages avancés par les requérants car il s’agit d’abord d’une technique couramment utilisée notamment en droits intellectuels afin de déterminer la notoriété d’une marque et ensuite parce que sa Majesté le Roi y a fait clairement référence dans son discours royal du 21 juillet 2005 ainsi qu’en termes plus couverts dans son discours du 24 décembre 2005. Il convient d’ailleurs d’observer que le Roi fait partie du pouvoir exécutif et que les défenderesses en dépendent de sorte qu’une contradiction entre ces deux « organes publics » serait assez incongrue. Par ailleurs, si « l’état de l’opinion publique est mieux reflété par les résultats des urnes […] que par des sondages » (concl. add. de la RTBF, p. 11), il est difficile de comprendre pourquoi il existe encore une loi de 1973 sur la protection des minorités idéologiques et philosophiques, une loi qui prévoit la reconnaissance d’organisations représentatives par les gouvernements. Remarquons encore que la RTBF tente de lier le temps d’antenne qu’elle a accordé au B.U.B. en tant que parti politique au temps d’antenne qu’elle devrait lui accorder en tant que porte-parole potentiel de la grande minorité d’unitaristes et de fédéralistes d’union. Ce n’est évidemment pas la même chose et ne démontre aucunement que la RTBF aurait satisfait à ses obligations décrétales à cet égard.

6. On se demande par ailleurs comment la RTBF et la VRT peuvent savoir si le message du petit B.U.B. ne va de toute façon pas intéresser les citoyens. Elles reprochent au B.U.B. de vouloir représenter 2,5 millions de Belges – ce que le B.U.B. a clairement nuancé – mais, elles-mêmes, elles n’hésitent pas à parler au nom de leurs quelques millions de téléspectateurs et d’auditeurs… Le B.U.B. estime pourtant qu’il sera aux électeurs de décider des mérites du B.U.B. et non aux défenderesses.

Dans ses conclusions additionnelles (p. 11, note 25), la RTBF essaie de tirer une phrase se trouvant dans les conclusions des requérants hors de son contexte en le citant à moitié. Il n’est pas contesté que la représentation parlementaire constitue un critère objectif pour répartir le temps d’antenne selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, mais cela ne veut aucunement dire que ce critère est toujours raisonnable et que les défenderesses puissent violer les principes de non-discrimination, de la liberté d’expression et de la pluralité. En d’autres termes, même si le critère de la représentation parlementaire peut être pris en compte dans la clé de répartition du temps d’antenne, cela ne veut pas dire que l’on peut exclure totalement les partis (permanents) non représentés au parlement, d’autant moins lorsqu’ils sont les seuls porte-paroles potentiels d’une large minorité nationale. Ajoutons à titre répétitif que les « maigres » résultats électoraux du B.U.B. (en tout cas en termes absolus) et dont les défenderesses font grand cas, sont principalement déterminés par le manque d’accès aux médias publics du B.U.B….

A. STROWEL et F. TULKENS cite d’ailleurs un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 29.11.1995 qui, se fondant sur une décision du Tribunal constitutionnel du 21.01.1994, a décidé – après avoir déclaré l’action de Monsieur Patrouilleau et de son asbl recevable – que (p. 88) :

« … la liberté d’expression a pour corollaire, dans le chef des spectateurs, un droit à l’information de même valeur que la liberté qu’il complète. »

7. La RTBF retient un critère de différenciation déraisonnable et disproportionné (voir conclusions). La commission européenne des droits de l’Homme et certains tribunaux belges ont déjà jugé que l’on ne peut exclure un parti politique sans représentation de l’antenne publique en période électorale ou lorsque ce parti peut faire valoir d’autres circonstances exceptionnelles. Le contrôle du juge est certes marginal, mais il existe. Les deux minutes accordées par la RTBF au B.U.B. sont évidemment manifestement insuffisantes pour faire connaître le parti au grand nombre.

Ecolo a pu percer grâce à un élan international : le mouvement écologique appuyé par de puissantes organisations internationales comme le WWF ou Greenpeace. Ce parti constitue donc un mauvais exemple. L’UDRT a eu quatre élus dans les années ’80, mais le parti a disparu peu de temps après car il n’avait pas accès aux médias.

Un ancien représentant de l’UDRT, Monsieur Pascal De Roubaix a expliqué aux requérants quelle était la raison de l’échec du parti :

« 1° Nous avons réussi à apparaître comme un phénomène porté par la vague néolibérale.
Nous étions soutenus dès le départ par la Fédération Générale des Travailleurs indépendants, 80.000 membres (FR/NL) qui
diffusait un hebdo: “La défense sociale”.
Nous avons pratiqué le collage sauvage comme des fous, (impensable aujourd’hui) par campagnes successives, même en
période non électorales.
Dès que nous sommes apparus dans les sondages nous avons été pris au sérieux par la presse écrite, un peu grâce aux
sondages qui étaient quelquechose de tout neuf.
Les chutes de gouvernements et les élections à répétition ont participé à une sorte d’excitation politique permanente qui
nous a été bénéfique.
Le « marketing politique » en était à ses balbutiements, les autres partis y étaient extraordinairement maladroits et contrôlaient
leur électorat avec beaucoup moins de professionnalisme qu’à ce jour.
Nous étions pauvres, mais les autres partis n’étaient pas riches. Les armes étaient bien plus égales qu’aujourd’hui.

2° Avant les élections de ‘78 nous n’avons pas eu de véritables accès aux radios et télévisions, si ce n’est sporadiquement.
Après celles-ci, vu la surprise de l’élection e Monsieur Hendrick (qui fut quand-même une sorte de petit miracle politique) on a
beaucoup plus parlé de nous et nous avons même eu droit au guet-à-pens de la RTBF qui a organisé notre démolition
médiatique (nous avons même gagné notre procès contre elle, mais le mal était fait). »

Ce témoignage du terrain démontre que le marketing politique a connu une énorme évilution et qu’un phénomène comme l’UDRT avait encore une chance dans les années ’70 et ’80, mais qu’actuellement, l’emprise des médias est devenue tellement forte, que de telles initiatives politiques ne sont plus réalisables sans un appui réel des médias et surtout des médias publics.

Le B.U.B. ne demande évidemment pas le même accès aux médias publics que celui accordé aux partis avec une représentation parlementaire, comme la RTBF le prétend, même si ce principe existe en France. Non, le B.U.B. se limite à demander un accès de base en tant que parti et un accès complémentaire vu le fait que son idéologie soit partagée par une grande minorité nationale. Néanmoins, même en accordant ce temps d’antenne minimal au B.U.B., celui-ci ne bénéficiera toujours pas – loin s’en faut – du temps d’antenne accordé aux partis représentés au parlement et encore moins de celui accordé aux grands partis politiques.

8. La RTBF estime que le droit à des élections libres n’emporte pas, pour les candidats, celui d’user des moyens d’expression qui dépendent des pouvoirs publics. En présence d’un parti permanent comme le B.U.B. (et c’est un des seuls), une telle affirmation est bien étrange car les pouvoirs publics sont justement là pour protéger les droits des minorités, a fortiori lorsque ces minorités (idéologiques en l’occurrence) sont importantes.

9. Les requérants ne dénoncent pas l’instauration d’un seuil d’éligibilité dans le cadre de cette procédure et les autres obstacles auxquels ils doivent faire face, mais estiment qu’il faut regarder le tout en donc alléger la charge du B.U.B. en lui accordant un accès – en fin de compte – limité aux médias publics. On ne voit d’ailleurs pas comment cela pourrait nuire aux défenderesses, ni d’ailleurs aux autres partis politiques. Puisque le B.U.B. tient un discours singulier, mais raisonné, il ne pourra qu’enrichir le débat politique ! La RTBF signale d’ailleurs à juste titre dans ses conclusions que l’obligation de récolter des signatures de citoyens ainsi que l’octroi des subventions aux partis politiques avec représentation parlementaire et l’exclusion de ces subventions des partis sans représentation sont déjà basées sur le nombre de votes que ces partis ont recueillis. Donc, pourquoi alors encore renforcer cette discrimination – justifiée ou non, cela ne fait pas l’objet du présent débat – en fondant l’accès aux médias publics sur ce même critère ? On ne peut qu’en conclure raisonnablement que le but des partis avec représentation est de barrer définitivement la voie aux partis sans représentation, ce qui se vérifie d’ailleurs dans la pratique à deux exceptions près : les écologistes et l’extrême-droite, qui constituent néanmoins des phénomènes européens.

10. La RTBF dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’élaboration de ces programmes. Cela n’est aucunement contesté. Mais cela ne veut pas dire qu’elle n’est pas liée par des obligations vis-à-vis des citoyens. Elle ne peut impunément violer les droits des minorités idéologiques (voir l’art. 3 de ses statuts) ni discriminer totalement les nouveaux partis politiques et certainement pas en période électorale (voir la décision De Angelis ainsi que les autres décisions citées). La faute des défenderesses est donc le fait de violer une obligation légale au sens général du terme. Le dommage est la discrimination conséquente dont les requérants sont victimes en tant que parti politique et membres d’une minorité nationale discriminée. Il y a donc une confusion quasi-totale entre la faute, le dommage et le lien de causalité.

L’auteur F. GLANSDORFF écrivait à cet égard (« La responsabilité de la puissance publique en droit belge », in Les obligations en droit français et en droit belge – convergences et divergences, Bruxelles, Paris, Bruylant, Dalloz, 1994, p. 317 ; Cass., 4 novembre 1982, R.G.A.R., 1984, 10815 ; Cass., 13 mai 1982, concl. gén. VELU, J.T., p. 772) :

« […]

Ou bien l’autorité méconnait des règles constitutionnelles ou légales lui imposant de s’abstenir ou d’agir de manière déterminée. Elle transgresse alors une obligation de résultat, et l’on se montre plus sévère : il y aura nécessairement faute, sauf erreur invincible ou autre cause d’exonération de responsabilité. »

L’auteur HABERMAS écrivait à cet égard (op. cit., 471) :

« […] les mass media doivent conquérir une marge d’action qui les rende indépendants de l’intervention à la fois des élites politiques et des autres élites fonctionnels, et qui leur permette d’assurer le niveau de discussion propre à la formation de l’opinion publique, sans porter atteinte à la liberté communicationnelle d’un public appelé à prendre position. »

Le B.U.B. semble d’ailleurs ne pas être seul avec ses reproches de manque de pluralisme car l’ancien ministre de la culture de la Communauté française de Belgique, Monsieur Miller, vient de déclarer dans un article paru dans la Libre Belgique du 02.02.2006 (joint au dossier) que la RTBF serait trop à gauche et accorderait trop peu de temps d’antenne au point de vue libéral. Il parle même d’une «crise de confiance» entre la RTBF, dominée selon lui par le PS, et ses téléspectateurs !

VRT

1. Même si Monsieur De Angelis a perdu sa requête devant la Commission des droits de l’Homme, cela ne veut pas dire que les requérants ne peuvent tirer des leçons de cette décision. Le problème de Monsieur De Angelis était qu’il ne disposait d’aucun document démontrant un refus d’accès aux médias. En l’espèce, les requérants apportent évidemment cette preuve. Ce point n’est d’ailleurs aucunement contesté.

2. La décision De Angelis démontre clairement qu’une discrimination manifeste de partis politiques et de candidats dans les médias est interdite. De plus, il a déjà été souligné clairement par les requérants que l’accès aux médias, dans notre monde ultra-médiatisé, est devenu une condition sine qua non pour réussir en politique. On constate en effet que les 4 ou 5 grands partis se partagent 98% des voix sans compter le grand nombre d’abstentionnistes et d’électeurs qui ne viennent pas voter pour une raison ou une autre (environ 1.000.000 lors des dernières élections régionales) ! On peut comparer cet accès aux médias à celui à la publicité radiodiffusée pour les entreprises. Qui plus est, même purement mathématiquement sur base du nombre d’électeurs (13.000), le B.U.B. est discriminé (voir concl.).

3. Les articles 29 et 30 §6 des décrets sur la VRT ne visent évidemment pas les programmes politiques généraux (les plus importants), mais uniquement les tribunes politiques en période électorale. La VRT l’admet d’ailleurs car elle a déjà clairement souligné qu’elle est totalement libre dans la programmation – quod non vu l’interdiction de discrimination manifeste de nouveaux partis et de minorités idéologiques.

4. Contrairement à ce qu’énonce la RTBF, la VRT estime que « le devoir d’objectivité de la partie concluante n’implique nullement un certain résultat mathématique, mais une motivation au cas par cas,… » La RTBF prend donc comme critère le résultat électoral, la VRT en revanche, s’estime totalement libre de faire ce qu’elle entend. Quel que soit le critère de sélection que l’on adopte, il est clair que celui-ci ne peut mener à une discrimination manifeste. La Vlaamse Geschillenraad n’a d’ailleurs aucunement répondu à l’argument des requérants concernant la discrimination de la grande minorité nationale d’unitaristes et de fédéralistes d’union. Le CSA non plus.

5. Enfin, la VRT estime de façon particulièrement vague et illogique que les requérants doivent prouver leur grand intérêt journalistique. Ils l’ont pourtant déjà démontré en signalant des sondages scientifiques qui démontrent l’existence d’une grande minorité nationale d’unitaristes et de fédéralistes d’union, la discrimination manifeste de cette minorité et le fait que le parti des requérants constitue le seul parti politique qui défend les idées de cette grande minorité nationale (ce qui n’est nullement contesté). Par ailleurs, les requérants ne comprennent pas très bien ce que la VRT entend dire par « prouver au cas par cas » leur intérêt journalistique. Pour bien faire, ils devraient donc organiser chaque mois une manifestation d’au moins 10.000 personnes, car une seule manifestation ne leur donnerait qu’un seul accès limité au jour même de la manifestation. D’autre part, il n’est pas du tout sûr que les grands partis traditionnels sont eux-mêmes capables d’enthousiasmer 10.000 manifestants une fois par an, loin s’en faut…

6. La VRT et la RTBF ont encore une fois fait preuve de leur volonté de discriminer la minorité nationale d’unitaristes et de fédéralistes d’union dans leurs émissions du début février 2006 après le discours anti-séparatiste que le Roi Albert II avait tenu à la réception de Nouvel An le 30.01.2006. Le souverain s’y est farouchement opposé à la dislocation de la Belgique et aux forces séparatistes qu’elles soient manifestes (comme le Vlaams Belang) ou larvées visant ainsi le CDenV et les autres partis néerlandophones, voire quelques partis francophones comme le PS. Après ce discours, la VRT et la RTBF ont uniquement donné la parole aux séparatistes et aux confédéralistes et non aux unitaristes ou aux fédéralistes d’union. Pour les chaînes publiques, il était clair que les Flamands en bloc ne partagaient pas l’opinion du roi, tandis que la réalité est toute différente. Il est aussi à préciser que le discours du roi n’était pas unitariste ou fédéraliste d’union, mais simplement fédéraliste dans le sens où il ne s’est pas opposé à de nouvelles scissions de compétences. En outre, l’on peut difficilement soutenir que la grande minorité d’unitaristes et de fédéralistes d’union peut être défendue par un souverain pour lequel les citoyens ne peuvent pas voter, qui n’a pas pour tâche de défendre quelque minorité que ce soit, mais la nation tout entière, dont la fonction est liée au strict respect de la constitution (en l’occurence fédéraliste) et dont les discours doivent être approuvés par le gouvernement, en l’occurence composé de partis fédéralistes, voire confédéralistes (p. ex. le VLD et la SP.A).

CONCLUSION

Il est manifeste que les défenderesses, qui font partie du pouvoir exécutif et qui fonctionnent au moyen de l’argent du contribuable, font tout pour garder le marché politique fermé au profit des partis démocratiques représentés au parlement et refusent d’admettre de nouveaux entrants démocratiques. Ce comportement illégal est constitutif d’une faute qui nuit directement aux requérants qui sont discriminés de la sorte, bien que le B.U.B. soit un parti permanent qui constitue le seul porte-parole potentiel d’une large minorité nationale d’unitaristes et de fédéralistes d’union totalement discriminée par les défenderesses. Ce dommage exige une réparation en nature conformément à la jurisprudence citée de certains tribunaux belges ainsi qu’à celle de la Commission européenne des Droits de l’Homme et de la Cour européenne des droits de l’Homme.

On peut terminer en citant A. STROWEL et F. TULKENS (p. 87) :

« N’est-il pas parfois aussi de l’intérêt de la société qu’une sanction soit prise contre un média, quand bien même aucun individu ne s’en plaindra ? »

Tout en sachant qu’au moins les requérants se plaignent en l’espèce, voire 25 à 40 % des Belges !